Activités

Par p.lefait@me.com | 12/09/2023 | Activités

La singularité : une autre chance ! Galerie photos.

«Voici donc quarante ans, pas moins, que je suis rivé au milieu des passions et qu’elles me mordent sans détruire la digue qui me sépare de l’univers. Une grande commisération indifférente entoure le fauteuil des impotents. Imbéciles spectateurs, vous ne comprendrez jamais rien. Je ne donnerai pas ma place pour tout l’or du monde. Soustrait à toutes les considérations puériles des hommes, je consacre ici  tout mon temps à la volupté. Mes sens réduits se sont affinés à l’extrême, et c’est dans sa pureté que je connais enfin le plaisir. La vieillesse a peu touché mon corps. Si mes cheveux ont blanchi, je n’ai point usé mes jours dans le lit d’une femme que chaque nuit fait agoniser dans sa peau ridée. Dans mon esclavage apparent, quelle liberté véritable. Du temps que j’avais le pouvoir de marcher, de parler, il fallait tenir compte des autres. Je n’osais pas penser, tout me semblait criminel. Je me limitais. Je redoutais les questions qui se posaient à moi. Une grande injustice met à l’aise. Il n’y a aujourd’hui plus un malheur qui puisse m’atteindre, plus un événement qui puisse me déconcerter. Ainsi j’ai appris à jouir de moi-même, à jouir d’autrui. Je ne pense pas à mourir. Je ne m’ennuie pas. Il n’est pas plus difficile de ne pas s’ennuyer que de ne pas parler, et je ne peux plus parler, et je ne veux plus parler. De temps en temps l’envie violente me ressaisit d’être vivant comme tout le monde. Ce sont des crises brèves, qui me font mieux sentir mon bonheur… »

(La défense de l’infini/Le con d’Irène. Louis Aragon. Gallimard. 1997)