Portrait de Matthieu en père Noël 🎁
Matthieu est un jeune homme entendant de 27 ans, qui présente des troubles complexes du langage et plus particulièrement sur le versant expressif. A l’heure actuelle, il ne possède que quelques mots à l’oral et s’exprime en français signé (signes issus de la LSF). A l’écrit, il est en mesure de comprendre des dessins de situation et un certain nombre de pictogrammes, qui lui ont été enseignés simultanément avec les signes de la LSF. Si Matthieu comprend et pratique un certain nombre de signes, il lui est indispensable que l’on pose les choses en pictogrammes sur son tableau noir.
Effectivement, pour illustrer des situations plus ou moins complexes, Matthieu demande qu’on matérialise les choses ou les événements sur son tableau noir ou un autre support si nécessaire. Ça peut aussi être dans l’action, sur une simple feuille de papier. Le fait d’écrire ou de dessiner permet de désamorcer bien des situations plus ou moins conflictuelles, mais aussi d’anticiper, de prévoir …
Les débuts de Matthieu :
Matthieu est né le 15 octobre 1994, un jour d’été indien, d’un accouchement aux forceps, et … surprise : une fente palatine ! Des inquiétudes naissent même si les médecins se veulent rassurants. On consulte en Maxillo-facial, il sera opéré à 5 mois 1/2. Le nourrir sera compliqué même si nous avons des » trucs » pour nous y aider. Matthieu grandit, mais nous constatons un retard dans les acquisitions. Il semble décalé dans son développement, et ne parvient pas à nous parler, malgré son envie, ses efforts…
Ce témoignage a été publié dans le livret :
« Paroles des familles » édité par le CNRHR et fait partie de la « malle pédagogique » destinée à mettre en lumière une démarche de communication alternative.CNRHR Robert Laplane
CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES HANDICAPS RARES : SURDITÉS, TROUBLES DU LANGAGE
… Le neuropsychiatre que nous consultons à sa 3e année nous dit que « Matthieu est un bavard » bien qu’il ne produise que très peu mots, une dizaine tout au plus. Progressivement il sera intégré en classes de maternelle de quartier, où il passera quatre années, avec néanmoins beaucoup de réticences de la part du corps enseignant. Il faudra toujours argumenter et insister auprès de la direction pour qu’il garde sa place. Étant dans l’impossibilité d’intégrer un CP, compte tenu de son niveau de langage, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture apparaissent alors inenvisageables dans l’enseignement classique. Au CP, l’enfant doit apprendre à lire et écrire sur une année et c’est mission impossible pour Matthieu. La notion de temps n’est plus la même pour lui, il va falloir trouver d’autres chemins.
Nous partons en recherche d’un établissement spécialisé qui pourrait lui proposer des moyens alternatifs de communication, comme la langue des signes. Après avoir visité bon nombre d’établissements, sans succès, tous restent portes closes pour Matthieu. C’est assez découragée que je me rends au Centre Daviel, que m’a indiqué une professeure de médecine spécialisée dans les troubles du langage.
Et là, stupéfaction, je vois des enfants arrivant, en début de journée, dans un établissement avec le sourire aux lèvres, visiblement heureux de s’y rendre. Les conversations démarrent, dès les premiers contacts, dans la joie et la bonne humeur. Tout ceci me trouble énormément, rien à voir avec tout ce que j’ai pu observer jusqu’à présent dans mes recherches. Nous sommes reçus par le directeur, Matthieu a bien le profil de la maison, mais il n’y a pas de place pour lui dans l’immédiat. Nous finirons par obtenir deux séances de rééducation en orthophonie et psychomotricité en complément d’une scolarisation dans une école privée, par ailleurs. Cette année transitoire sera difficile pour Matthieu, beaucoup de changements, toujours difficiles à intégrer, et des prises en charges pas toujours adaptées à ses troubles complexes. Daviel finira par lui ouvrir ses portes l’année suivante. Soulagement pour nous et pour lui. Commencera alors une prise en charge au plus près de ce qu’il est, avec notamment l’introduction de signes, issus de la LSF et de pictogrammes. Durant ces 7 années de prises en charge, Matthieu progressera continuellement, et nous avec lui, dans sa compréhension de l’oral, de l’écrit avec les pictogrammes et dans son expression au moyen des signes…
La suite s’avérera plus compliquée…
Matthieu est dans sa quatorzième année, il va falloir trouver une nouvelle orientation qui convienne à l’adolescent qu’il est devenu. Or, il n’existe pas sur Paris d’établissement type, qui pourrait remplir ce rôle. Il va falloir composer. Me revoilà partie en quête d’une solution, un nouveau parcours de combattante. Après différentes démarches, nous opterons pour un IME situé dans le 14e arrondissement de Paris, accueillant des adolescents sourds pour la plupart. Néanmoins, une place est octroyée également à des jeunes entendants ayant recours à la LSF compte tenu de leurs troubles complexes du langage. Matthieu aura des débuts difficiles dans cet établissement. Les changements sont compliqués à gérer pour nos enfants. Il faut se réadapter à un nouveau lieu, à de nouvelles personnes. Les pratiques ne sont pas les mêmes qu’auparavant, même si on y utilise la LSF quotidiennement. L’utilisation des pictogrammes n’est que parcimonieuse et ce nouvel établissement utilise un autre répertoire. Une difficulté accrue pour Matthieu, qui n’a d’autre choix que de s’adapter. La transition sera trop brutale pour lui et se manifestera par son corps. Matthieu va chuter, à plusieurs reprises, et se brisera… au poignet, au coude. Il nous alerte, mais pas d’autre choix que de persévérer. Alarmée, son orthophoniste de cœur se manifeste et lui écrit, en pictogrammes. Elle mobilise aussi ses copains d’avant, qui lui font parvenir des mots doux, des dessins, autant d’attentions qui touchent Matthieu en plein cœur. Il se sent moins seul, on pense à lui, on le soutient, il reprend des forces.
Les rapports avec les professionnels du Centre sont tendus. J’essaye de leur expliquer les fonctionnements de Matthieu, mais ils ne sont pas à l’écoute, remplis de leurs certitudes. Je parviens à créer le dialogue avec la psychologue de l’établissement qui me reçoit régulièrement, c’est sensé apaiser les tensions entre les professionnels et les parents. Petit à petit, par ce biais, je parviendrai à délivrer des messages, comme la nécessité impérieuse de collaborer avec les familles. Les choses s’assoupliront, un peu. Heureusement la pratique de la LSF permettra à Matthieu de progresser. Pendant tout ce temps de l’adolescence, nous continuerons l’usage des pictogrammes à la maison, dans le cercle familial. Matthieu demande que nous écrivions les choses à faire ou à ne pas faire, sur son tableau noir et ce, quotidiennement. C’est une façon pour lui de poser les choses, de les voir convenues. Il y a une trace de ce qu’il dit, de ce que nous lui disons. Et ça l’aide énormément à intégrer nos échanges. Les mots, les signes ne sont plus volatiles, ils sont écrits, blanc sur noir, il peut les entériner et passer à une autre idée. Sans ça, il est pollué par ses idées redondantes qui le freinent, l’empêchent d’avancer.
A sa vingtième année, nous devons à nouveau trouver une solution pour son accueil en tant qu’adulte. La transition d’un établissement à l’autre reste toujours une épreuve pour lui.
Après avoir exploré toutes les éventualités, nous opterons pour un accueil de jour, un CAJ dans le 15e arrondissement de Paris, où les moyens alternatifs de communication sont peu utilisés. Mais pas d’autres choix, là encore il va falloir s’adapter. L’accueil est bienveillant, les professionnels sont ouverts à de nouvelles démarches de communication. Mais c’est long et fastidieux à mettre en place, malgré le soutien régulier du centre de ressources. Au début, Matthieu est chamboulé, il se demande ce qu’il fait là ? Il en résulte des troubles du comportement. Il devient adulte, il s’affirme et ne comprend pas toujours tout ce qu’on lui impose. Il a du mal à trouver sa place, à interagir avec ses nouveaux interlocuteurs. Il subit, sans se soumettre et c’est tant mieux, il aurait pu s’éteindre, mais non il reste dans l’agir. Matthieu a la volonté d’être, d’être avec les autres, même si c’est avec la frustration extrême de ne pas être compris et de ne pas comprendre tout ce qui se passe autour de lui.
Petit à petit il intègre ce nouvel environnement, ces nouveaux rythmes et les nouveaux intervenants, qui changent trop souvent pour lui. Effectivement, le « turnover » est important et encore une fois, la nouveauté se surajoute à ses difficultés…
Pour l’heure, nous préparons Noël. Quelle joie de se retrouver autour du feu pour ces moments festifs. Matthieu adore ce moment. Il est présent à 200%. Il a pris pour habitude d’endosser le rôle de celui qui distribue les cadeaux rangés consciencieusement sur la cheminée et étiquetés avec les pictogrammes des personnes présentes. Chaque année, sa prestation monte en puissance, il nous fait un show de plus de deux heures ! Quel régal de le voir jouer ce rôle à la perfection ! Il illumine cette soirée et pour le coup, il devient ACTEUR !
Merci à toi Matthieu.
© Muriel Loison, 2021.
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