Charles Gardou : les mots d’un père …
« Les mots ont été mes seuls amours, quelques-uns » Beckett. Charles Gardou connaît la férocité du fauve, celle que le handicap redouble quand il touche l’enfant. Quand le réel psychanalytique l’a cogné, l’anthropologue et l’universitaire lui a opposé une première réponse théorique. La diversité et la singularité de l’humain sont devenues son sujet dans une société, la nôtre, où, dans « le tintamarre des normes », « l’on fantasme le handicap de ne pas le connaître ». Quand ailleurs il est tout aussi possible de se passer du mot inclusion et d’être dans une communauté naturellement hospitalière de sort et de destin avec les personnes empêchées. (son expression pour essayer de dire au plus juste un impouvoir parmi tant d’autres).
Contre la griffe assassine, par la volonté de savoirs et les mots, il s’est d’abord attaché à une exploration toujours plus fine de la condition de notre espèce, versant peur et exclusion, toujours fragilité. Parce qu’il n’y a pas, écrit-il, « de nuit de la dignité humaine ».
Mais le savant appartient aussi à l’internationale des aidants. Il est père, marqué au fer par d’autres mots, « raides et froids », autrement pénétrants qui valent « condamnation à vie » : syndrome de Rett. La maladie a touché sa fille. Toutes les servitudes ne sont effectivement pas volontaires même si « les pétillements inaperçus » libèrent toujours la voie étroite de l’utopie.
La fragilité de la source est un puissant texte sur le vivre et l’exister ensemble quand le fauve n’est plus seulement objet de connaissance. Il est là, dans la maison, déchirant les cuirs les plus épais, obligeants à des « comme si », raccourcissant les jours et les nuits. Il rend blêmes quand on voit l’autre dépendant qui « subit ». Gardou livre, hors les murs de la faculté, une part d’intime et un amour qui font l’universel et renseigne sur les chemins de soi dans une « implacable loterie avec des dés pipés ». L’apparent non-sens de la vie !
Que le savant sache cacher ses larmes ou son abnégation dans la dialectique, le lecteur s’en doute et cette fragilité du titre dit aussi « des affaires humaines ». Elles sont psychologiques, sociétales et politiques. Quand les vieilles superstitions ne meurent pas et que les regards aporétiques s’égarent. Quand l’administration essentialise dans ses catégories et ses chiffres. Quand un pays voudrait se constituer en start-up et ruisselante nation. Quand la reconnaissance de droits n’implique pas leur effectivité.
De judicieux coups de patte, à hauteur d’humanité.
Cela dit, l’essentiel du don qui se fait ici tient en quelques lignes. Lisons : « Celle qui donne chair à mes mots… Celle qui accompagne mon écriture… Celle qui façonne ma pensée… Celle qui me fait écrire … Elle est l’eau, je suis l’éponge ».
Elle s’appelle Marie Gardou. »
Ph. L. (Février 2022)