Une as des mots : Babouillec racontée par Julie Bertuccelli…
« Seul l’acte d’aimer nous sépare du vide » écrit « Babouillec Sp » filmée par la documentariste. « Avoir attiré l’attention, la réflexion… ou l’émotion, c’est avoir existé… » dit l’entomologiste des médias. La première doit son contact au monde à la possibilité d’enfin agencer les 26 lettres de l’alphabet. Le second évoque un tsunami civilisationnel. Deux visions, un enjeu majeur: l’Autre !
CONVERSATION:
Julie Bertuccelli a de qui tenir. Son père faisait du cinéma. Pour cette auteure de fictions (« Depuis qu’Otar est parti », « L’arbre ») et d’une quinzaine de documentaires, le rapport à l’autre est central. Cette curiosité, les rencontres qu’elle suscite, questionnent les parcours de vie, celle des magistrats (« La fabrique des juges »), celle d’« Antoinette Fouque » -l’une des fondatrices du MLF-, celle d’adolescents venus d’ailleurs en classe de français (« La Cour de Babel »). Aujourd’hui c’est à Hélène Nicolas, « Babouillec Sp » (« Sp » pour sans parole) de son nom de plume, qu’elle porte attention dans « Dernières nouvelles du cosmos ».
Cette jeune femme, né en 1985, diagnostiquée « autiste très déficitaire », a longtemps été enfermée dans une impossible communication jusqu’à ce que soit mise à sa disposition une boîte à lettres. Dans les « usines à gaz » (aucune volonté dépréciative dans l’expression; seulement une évocation de la complexité) qu’imaginent les aidants -en la circonstance sa mère- pour être avec les personnes handicapées… un simple alphabet de lettres cartonnées a fait d’Hélène la poétesse qu’elle est et lui a ouvert la porte de l’adaptation théâtrale.
D’« Algorithme éponyme » , l’un de ses recueils, Babouillec Sp dit: « ogresque pamphlet invitant nos neurones à jouer ensemble dans l’improbable poésie d’un monde éclairé par la présence d’un Nyctalope ».
Julie Bertuccelli excelle à faire partager cet improbable chemin de soi…
Avec le recul mon oeil a retrouvé son sens critique. La beauté que dégage l’image nous offre la possible interrogation de l’émotion. Rire ou pleurer face à ce monde d’un ailleurs. Vrai sujet de société, parler de l’autisme peut déranger. À travers ton film Julie, j’apparais comme une personne hors circuit qui avec sa boîte à lettres compose un langage d’une autre appartenance et les mondes se rejoignent. Avec plaisir je m’observe dans ton oeil goguenard habité par l’amour de la lumière directe, fluide, embellissant les contours poétiques du réel…
Babouillec Sp.
La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés.
Antonio Gramcsi. Carnets de prison, 1926-1937.
La télévision publique est bien un quarantième rugissant, écartelée qu’elle est entre sa mutation numérique et son héritage linéaire, entre une « geek génération » fascinée par la puissance de l’outil qu’elle donne l’impression de maîtriser et les grands fauves iconiques des soirées devant le poste de grand papa et de grand maman -cette ancienne ménagère de plus ou mois 50 ans si chère aux annonceurs- de papa ou de maman. Bruno Patino, actuel directeur éditorial d’Arte France et ancien numéro 2 de France Télévisions est juste sur ce chemin de crête entre l’ancien et un nouveau monde non encore advenu. Dans « TÉLÉVISIONS » (notez la graphie du mot), il dit le premier, broyeur de narcisses, dans une série de portraits peaufinés à l’aigre-doux (Chancel, Ardisson, Barma, Ruquier, Drucker) et essaye de penser le second ennassé par la technologie dans une toile libératrice ou totalitaire -c’est selon- qui passe d’un audimat « moribond » (mais toujours prurit de tous les faiseurs de programmes) au clic même si « l’impact » -plus joli que buzz- a remplacé selon lui la vieille aporie quantité/qualité. Même si la tribalisation infinie ou la soumission à l’immédiateté qu’il décrit balayent la notion de service public, ce lieu où se construit, par exemple devant la dérisoire machine à café du lundi matin après le film du dimanche soir, une société…
Un froid constat s’impose: l’univers numérique est un monde social sans friction, où l’on se croise sans se voir ni se toucher, sans partager de mémoire collective ni écouter un narrateur unique…
« La condition numérique » Jean-François Fogel et Bruno Patino. Grasset, 2013.
LIVE:
Ebo Taylor entre afrobeat et freestyle…